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Le Domaine, de Jo Witek
Gabriel accompagne sa mère embauchée pour l’été comme domestique dans la haute bourgeoisie. Les marais et les kilomètres de landes qui entourent le domaine sont une promesse de bonheur pour ce jeune homme passionné de nature et d’ornithologie. Pourtant, dès son arrivée, il se sent mal à l’aise et angoissé. Le décorum et l’atmosphère figée de la demeure déclenchent chez lui des pulsions incontrôlées de colère, de désir, de jalousie. Et quand les petits-enfants des propriétaires débarquent, avec parmi eux la belle et inaccessible Éléonore, Gabriel ne maîtrise plus rien de ses émotions. Désormais, c’est eux et surtout elle qu’il observe à la longue-vue. Désormais, le fils de la domestique est prêt à tout pour se faire aimer car il est fou d’elle. Jusqu’à la mettre ou se mettre lui-même en danger…
Nbr de pages : 336 / Éditeur : Actes Sud junior
Mon avis
Forte de ma super expérience avec Un hiver enfer, le précédent roman de Jo Witek, je me suis lancée sans hésitation dans son nouveau roman noir. J’espérais y retrouver la même tension et une chute finale aussi inattendue. Sur ces deux points, je ne peux pas vraiment me considérer déçue, mais il m’a clairement manqué d’autres ingrédients pour vraiment apprécier ce roman.
Nous suivons cette fois Gabriel, un ado de seize ans, grand solitaire, amoureux de la nature et passionné d’oiseaux. C’est un héros intéressant, très (trop ?) mature pour son âge, et du coup, un peu en marge. Il se retrouve dans ce grand domaine, avec des landes à perte de vue : a priori l’endroit rêvé pour cultiver sa passion. Nous le suivons donc dans ses expéditions, ses découvertes, ses observations ; on passe énormément de temps seul avec lui à observer les beautés de la forêt et le vol des oiseaux. Et à moins d’être nous-mêmes des aficionados de la nature, on perd rapidement intérêt.
Ce qui n’aide pas, c’est la mise en situation assez longue et peu palpitante. Il faut attendre une bonne centaine de pages avant l’arrivée de l’élément déclencheur, l’arrivée du personnage qui va tout faire chavirer. Pourtant, on sent bien cette atmosphère sombre et un peu glauque, chère à l’auteure, qui se met doucement en place et joue presque le rôle d’un personnage à part entière… Mais ça manque quand même singulièrement d’action. Et il faut encore attendre cent autres pages pour que ça remue un peu et enfin plonger dans le cœur de l’histoire et discerner les premiers signes du thriller que l’on attendait avec avidité.
Paradoxalement, c’est un roman que j’ai dévoré. J’avais vraiment envie de savoir ce que Jo Witek avait préparé pour son final. On sent tout au long du roman qu’elle va nous retourner le cerveau et ça n’a pas manqué. Du coup, je ne ressors pas déçue de ma lecture, mais je m’attendais à un « vrai » thriller, quand il ne s’agit finalement « que » d’une histoire d’amour de vacances tumultueux entre deux jeunes, avec leurs faiblesses, qui se découvrent et se dévoilent… jusqu’à quelques pages de la fin.
Je n’aurais jamais cru dire ça, mais j’espérais quelque chose d’un peu plus « conventionnel », un bon page-turner sombre et inquiétant avec les codes avérés du thriller. Jo Witek s’essaie à une autre forme de roman noir et c’est d’ailleurs son objectif : elle voulait casser cette « notion d’efficacité du thriller » et revenir à « une forme plus classique ». J’ai découvert cette ambition dans une très bonne interview après ma lecture (voir ci-dessous) et du coup, ce roman prend tout son sens… Jo Witek a réussi son pari et son roman correspond tout à fait à ce qu’elle voulait en faire. C’est juste que je ne m’y attendais pas et je me suis retrouvée un peu à côté de la plaque pendant l’histoire, en attente de ce côté « efficace » d’un thriller. Mais ce n’est que partie remise, car je reste en admiration devant sa plume, l’ambiance de ses romans, la finesse de ses personnages. Prochain arrêt : Peur express.
Ma note : 6,5/10
Extras
Première publication : mars 2016
Fiche Bibliomania
Interview de Jo Witek ici :
Le Domaine se place dans la continuité de vos précédents thrillers et pourtant le malaise s’installe plus lentement, par petites touches. Quel a été votre parcours d’écriture pour ce nouveau roman ?
Pour Le Domaine, j’ai voulu revenir à une forme plus classique, plus descriptive, remettre en cause cette notion d’efficacité du thriller, ce fameux “turn page”, souvent très attendu des lecteurs. J’ai creusé le sillon, me méfiant de mes automatismes, mais aussi de ceux véhiculés par notre mémoire commune du cinéma noir. Je souhaitais un roman décontextualisé, qui reviendrait aux sources du genre, le macabre et le romantisme. Je me suis replongée avec délice dans les romans gothiques anglais comme Les Mystères d’Udolphe d’Ann Radcliffe ou au coeur du romantisme cruel d’Emily Brontë dans Les Hauts de Hurlevent. J’avais envie d’un héros sensible, pur, romantique, un garçon cheminant dans une nature aussi fascinante qu’inquiétante, où se jouerait une situation tout à fait moderne, mais dans un contexte hors du temps. Dans ce domaine, immense propriété forestière au milieu d’hectares de Landes, il n’y a pas de nouvelles technologies. Pas de réseau, pas d’ordi, peu de téléphones. Je me débarrasse de tout cela pour me concentrer sur ma situation : un héros débarque dans un milieu social très supérieur au sien, une nature de plus en plus angoissante, et de nouveaux sentiments le submergent : des colères, des jalousies, des désirs… C’est vraiment un héros contemporain parce qu’il n’a pas les règles du jeu de la société dans laquelle il est forcé d’évoluer. Pour moi, écrire un thriller c’est faire un pacte avec le lecteur : vous allez vous perdre, avoir peur et je vous promets que vous ne devinerez pas le dénouement avant la fin. Cette fois, j’ai accepté de moins construire l’action en amont, de me perdre moi aussi dans les Landes, quitte à rebrousser chemin plusieurs fois ! C’était assez angoissant et en même temps jubilatoire.
Nous, les enfants sauvages, d’Alice de Poncheville
Une fois la drôle de bête glissée dans son sac, Linka songea qu’elle allait peut-être s’attirer de gros ennuis. L’article 1 était explicite : toute personne en contact avec une vie non humaine devait l’éliminer. C’était ainsi depuis que l’épidémie de PIK3 avait décimé la population et provoqué l’abattage de tous les animaux du pays.
Non humaine, la bête l’était assurément, mais de quel animal s’agissait-il ? Même dans les vieux documentaires animaliers qu’on leur montrait à l’orphelinat, Linka n’avait jamais croisé ce drôle de poisson aérien qui changeait de forme à volonté. Elle l’avait appelée «Vive » et, malgré la surveillance constante dont elle faisait l’objet, la jeune fille était parvenue à la cacher.
Avec Vive à ses côtés, Linka se sentait étrangement plus forte et capable d’affronter les menaces qui l’entouraient : Mme Loubia et le professeur Singre, prêts à« reconditionner » Linka au moindre faux pas ; les Brigades vertes et les Fantassins, toujours à l’affût des déserteurs et des rebelles ; et ce mystérieux Docteur Fury, un vagabond qui cherchait à récupérer Vive…
Nbr de pages : 408 / Éditeur : Ecole des Loisirs
Mon avis
Voilà un des livres qui me tentaient le plus parmi la déferlante de nouveautés de cette rentrée littéraire. Je pensais bien ne pas me tromper en misant sur une dystopie qui, dès le résumé, me proposait un vrai ton, un univers mystérieux plein de tabous et une si jolie maîtrise des liens entre humains et animaux.
Et de fait, voici une dystopie comme je n’en avais encore jamais lue, poétique et réfléchie. Alice de Poncheville nous pousse à toutes sortes de questionnements sur notre monde, notre lien à la nature, nos tendances à choisir la solution de facilité, à ne pas considérer les choses de plusieurs points de vue. Elle nous propose d’avoir un autre regard sur notre façon de vivre avec ce roman qui est surtout une petite fable écologique et philosophique, servie par une plume magnifique.
Elle tenta d’imaginer à quoi ressemblait l’époque où l’on consommait de la viande. Tuer des animaux pour les manger lui paraissait d’une violence inouïe. Cependant, elle prit subitement conscience d’un paradoxe : aujourd’hui, on ne les tuait plus, mais ils n’existaient plus. Valait-il mieux qu’ils existent, bien que ce fût pour être mangés ? Un autre paradoxe la fit réfléchir : depuis la disparition des animaux d’élevage, l’air était beaucoup plus sain. Il fallait se rappeler qu’avant l’arrivée du PIK3 la pollution liée à l’élevage des bêtes et à la culture de leur nourriture dépassait de loin la pollution des voitures et des usines. C’était un fait. Mais la vie… Linka se demanda si l’on ne pouvait pas trouver un moyen de laisser la place aux animaux, à la vie même, sans rien lui demander en échange.
Mais il a malheureusement aussi un gros défaut : il manque cruellement de rythme. Il y a de nombreux passages pleins de risques et d’aventures, et pourtant cela manque de rebondissements, de suspense. On se pose en spectateur de cette société contrôlée, de ces vies un peu fades, de ce début de soulèvement, sans en faire vraiment partie, comme si l’auteure voulait nous tenir un peu à distance. On a beau s’attacher aux trois jeunes héros, qui nous racontent tour à tour leur vie et leur vision de ce monde à l’agonie, on ne souffre pas vraiment avec eux. Pourtant, tout y est : mystère, réflexion, écriture, personnages charismatiques, originalité, aventures. Peut-être manque-t-il le liant ? Peut-être cette distanciation est-elle voulue ? Peut-être…
Il n’empêche que j’en garde un beau souvenir, de cet hymne à la nature. Ce n’est pas le genre de livres qu’on dévore, avide de connaître le fin mot de l’histoire, mais on ressort grandi de cette lecture qui nous parle de valeurs, de respect et de responsabilités.
Ils restèrent un instant enlacés, puis se séparèrent, comme ivres. Les embrassades étaient devenues si rares qu’on en sortait vacillant.
Note : 7,5/10
Extras
Première publication : septembre 2015
Fiche Bibliomania
Inteview d’Alice de Poncheville sur le blog Les trois brigands :
« Comment vivez-vous le travail d’écriture ?
C’est un grand voyage. On entre dans un monde, on est en conversation avec ses personnages. On est dans la retranscription de ce monde intérieur, dans un flux de pensée. Quand j’écris un livre, le monde qui est dans ma tête me protège du reste.«